Illustration de couverture Tomasz Alen Kopera
Paradisial Hell, huile sur toile, taille : 195x130cm
www.alenkopera.com, www.arteclat.com
ÉDITORIAL
On pourrait croire que tout a été dit sur la vie et l’œuvre de Jean Louis Bouquet. Grave erreur ! Auteur maudit par excellence, il reste encore tant de romans et nouvelles à découvrir car, malgré la persévérance, l’entêtement même, d’un Francis Lacassin, Le Diable dans la ville, Cette pénombre de l’au-dedans, L’Affaire des squelettes, Trois femmes doivent mourir, Miss Elaine Diamant détective, Drames de poche… qu’il songeait à faire éditer, n’ont malheureusement pu voir le jour. Jérôme Baud, créateur et directeur des édition ArmadA, et moi-même avions envisagé une ambitieuse “intégrale”. La faible audience du premier volume publié, Les Mémoires d’une voyante, a remisé au rayon des projets avortés les intention affichées. Pourtant, ayant pu recueillir au fil des ans nombre de récits parus autrefois sur des supports éphémères, leur édition reste encore possible. Quant aux inédits, depuis le décès de son exécuteur testamentaire, ils ont été déposés en 2008 à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine ; sans doute est-il encore possible d’envisager leur publication. Mais ceci reste un vœu sans doute difficilement réalisable.
Dans l’immédiat, grâce aux Éditions GandahaR, cette nouvelle approche de l’auteur d’Alouqa comporte une biographie détaillée et illustrée et surtout quatre nouvelles inspirées de démons répertoriés dans la Kabbale, cette doctrine qui s’est développée au XIIIème siècle en Espagne à partir du Sefer HaZohar, l’ouvrage majeur de la tradition kabbalistique juive qui comporte l’ensemble des commentaires mystiques et ésotériques juifs des textes bibliques et de leur tradition orale. Le Sefer ha-razim (le livre des mystères), titre de deux des ouvrages traitant de magie angélique, décrit en effet un monde céleste habité par des entités angéliques qui exécutent les ordres divins. Les démons, ou shedim, font partie de la cohorte d’anges déchus lors de la Création. Parmi les plus cités dans les sources bibliques et les apocryphes, on trouve Satan, Bélial, Asmodée et Samaël, entre autres, esprits malins qui peuvent prendre une apparence trompeuse afin de nuire aux hommes jusqu’à prendre possession de leurs corps. Mais Bouquet, s’il les évoque, ce n’est jamais pour céder à l’archaïsme. Il s’emploie à réunir habilement la tradition à la psychologie moderne. « Mes affabulations, dira-t-il, même extravagantes, ne sont pas gratuites. J’essaie d’y fixer dans des formes imagées certaines anxiétés que chacun, sans doute, porte en soi plus ou moins consciemment. » Et de préciser : « Le Fantastique n’a pas seulement pour objet la production de petites machines à faire peur. » Il ajoutera, à l’attention de Francis Lacassin : « … Un sujet doit d’abord être – ou sembler – crédible ; même si, ensuite, le lecteur le range dans la pure fiction. […] Lorsque la vraisemblance est créée, alors la percée, la crevée de l’irrationnel produit un effet plus vif. »
Presque toujours, chez Bouquet, le comportement des personnages se met brusquement à déraper : ils agissent ou pensent de façon aberrante, extravagante. Ils donnent des signes de folie, haïssent des êtres chers, envisagent leur meurtre, s’abandonnent à de curieuses superstitions ou aux appels d’un érotisme pervers, analysera encore Francis Lacassin dans sa préface aux Mondes Noirs. Les textes inclus dans ce numéro de Gandahar en sont un excellent témoignage.
Bonne lecture.
Jean-Pierre Fontana
Tomasz Alen Kopera, son tableau à l'huile Paradisial Hell et Gandahar 31